Je suis journaliste. Donc non seulement cet attentat, dans sa définition la plus simple, m'a choqué. Cela m'a un peu plus choqué dans le sens ou ce sont des collègues qui ont été froidement abattus. Horrifié aussi car ce sont des dessinateurs talentueux qui ont été privé de leurs vies pour un idéalisme qu'ils exprimaient au travers de la caricature des religions, dont le but était, au delà de l'humour noir ou de la provocation, de transmettre des messages pour nous amener à prendre du recul sur la société.
Non, je n'ai pas été un lecteur assidu de l'hebdomadaire. Mais je suis obligé de m'associer à ce mouvement à la fois en tant que journaliste et en tant que citoyen. Je ne suis pas un hypocrite, c'est-à-dire quelqu'un qui toute sa vie à craché sur Charlie et espéré sa censure et qui du jour au lendemain se met à le soutenir. Il y a deux amalgames qui ont ressurgi durant ces quelques jours sombres.
Une demande de désolidarisation malsaine
Le premier, évidemment, est celle de la religion. Demander à la communauté musulmane de se désolidariser de ces attaques terroristes, c'est tout simplement sous-entendre que cette communauté soutien et cautionne ces actes. Ce qui est totalement faux. « Celui qui tue un homme, tue toute l'humanité. » Ceci est un extrait du Coran, le livre de l'Islam. Il est inutile d'analyser cette phrase, elle parle d'elle-même.
Leur demander de se désolidariser d'un événement qui leur est totalement étranger, c'est également donner raison à ces personnes qui prétendent agir au nom d'Allah alors qu'ils le font au nom de Satan, si on reste dans le thème de la religion. C'est aussi donner raison, d'une certaine manière, aux groupuscules fascistes et racistes d'extrême droite.
La liberté d'expression doit rester telle quel
Le deuxième amalgame est celui de la liberté d'expression. C'est un fondement de la société française. C'est l'essence même de notre manière de penser. Si sur certains sujets elle nous paraît désagréable, elle existe et ne doit en aucun cas la mettre au pilori et laisser la censure s'emparer de nos vies.
Dieudonné ne me fait plus rire depuis très longtemps. J'exècre les quelques extraits célèbres du dernier livre de Zemmour. Je ne veux même pas entendre parler de Houellebecq et de tous ceux qui font l'apologie du communautarisme et de l'obscurantisme. Pourtant, ce sont de libres, souvent détestables, penseurs. Ils ont le droit, au même nom que Charlie, à la parole. Je ne défend absolument pas leurs pensées, que je ne supporte pas en tant qu'humaniste.
Ne pas oublier le reste du monde
Enfin, il ne faut pas ne penser qu'à nous, qu'à la France. Oui, c'est un attentat grave qui aura coûté la vie, au total, d'au moins 17 innocents (12 victimes dans et autour de la rédaction de Charlie, 4 dans la prise d'otage dans une boutique cacher de Vincennes et une à Montrouge). Mais n'oublions pas que, si la planète est de moins en moins violente au fil des décennies, il ne faut pas oublier les trop nombreux attentats, conflits civils, maladies et prises d'otage qui perdurent dans le monde entier : Yemen, Congo et RD Congo, Nigeria, Palestine, Syrie, Mexique, Brésil, Afghanistan, Pakistan, Qatar, Russie, Ukraine, Sierra Leone, Liberia, Guinée... j'en oublie certainement.
Petite parenthèse, lorsque je dis que le monde est de moins en moins « violent ». Je veux dire par là que les conflits armés font de moins en moins de morts. Mais la démocratisation d'Internet et la recrudescence de la surinformation (parfois de la désinformation) donne l'impression que jamais le monde n'a été aussi violent, alors qu'il ne s'agit que de poudre aux yeux.
Sentiment d'abandon
Revenons sur ma tribune. Je suis Charlie. Je comprend ceux que ne le sont pas, on est dans une démocratie et cela ne me choque donc absolument pas. Cet attentat est un électrochoc qui rappelle que, si tant est que la paix reste ultra-dominante en France, la méfiance des uns envers les autres reste très importante. Je me souviens des propos d'un gérant de kebab de chez moi qui me disait : « Je ne me reconnais ni dans le discours des politiques, ni dans ceux des journalistes ».
Cet événement dramatique met en avant un fait, un grand malaise ressenti par les jeunes, issus ou non de la diversité, dans notre société, présent depuis longtemps, bien avant même 2005 et les événements dramatiques de la banlieue parisienne. Ces personnes ont la sensation d'être mis à l'écart de la société, d'être abandonnées à leur sort.
Elles ont l'impression de vivre dans un monde totalement différent de celui que promettent les hommes politiques et de celui que présentent les médias. Certains pensent que Charlie Hebdo l'a bien cherché. Ils ont leur raison, parfois peut-être choquante, et j'ose espérer que l'immense majorité d'entre ne cautionne pour autant pas cet attentat et le chaos que cela à provoqué.
Certains d'entre eux sont à la limite de céder à la tentation de la violence pour nous rappeler qu'ils existent et que nous les avons laissé tomber. Je dis bien certains, pas tous. Il faut les protéger, leur donner des raisons viables d'espérer et de ne pas tomber davantage dans l'oubli.
Protéger la France et TOUS ses habitants
Il faut protéger la France et TOUS ses habitants. Français ou non. Il faut agir pour les préserver de cette violence et prévenir les actes racistes et toutes les autres formes de violence. Il faut tout faire pour que ce qui s'est passé le mercredi 7 janvier à Paris ne se reproduise plus.
Il faut agir sur le fond politiquement et créer une unité nationale, qui ne soit pas qu'éphémère et qui puisse davantage accompagner cette jeunesse perdue, sans toutefois oublier le reste de la population.
Nous vivons dans un pays de 66 millions d'habitants. Nous vivons dans le pays des Droits de l'Homme. Nous avons la chance de vivre dans un pays épargné par les conflits armés. Mais pour ne pas perdre nos valeurs ni sombrer un jour dans une guerre civile, il faut une union.
Poursuivre le combat
Nous, journalistes, il est de notre devoir de continuer notre travail. Pour Charlie. Pour ceux qui disent « je ne suis pas Charlie ». Pour continuer à dénoncer les clivages. Pour parler davantage des raisons pour lesquelles ces personnes ont décidé de défendre des valeurs indéfendables par ces attentats.
Tous ensemble nous devons nous unir pour assurer un avenir radieux en France. Et dans le monde. Je sais, la conclusion de ma tribune est optimiste. Utopique. Voire « Bisounours », gentillet. Mais c'est ma vision des choses. Et je crois sincèrement qu'il est possible d'éradiquer le négationnisme, l'obscurantisme, les inégalités, le racisme et le fascisme en avançant main dans la main. Irréalisable ? Je laisse les autres juger. Pour moi, c'est possible. L'être humain est capable de s'adapter.
Je serai dans la rue dimanche en mémoire aux victimes des attentats. Je suis Charlie, mais je ne vous en veux pas si vous ne l'êtes pas.
Une dernière chose. Si j'écris tout cela, ce n'est pas dans une avide et orgueilleuse quête de gloire. Ces événements m'ont marqué, peut-être à vie. J'avais simplement besoin de partager cela.